Beyrouth : pourquoi le nuage avait-il cette forme de « champignon atomique » ?

C’est l’actualité forte de cette semaine : une double détonation a retenti dans le port de Beyrouth, la capitale du Liban, tuant plus 100 personnes et faisant près de 4000 blessés. Mais pourquoi cette explosion, ressentie jusqu’à Chypre — une île située à plus de 200 kilomètres — avait-elle cette forme si typique de « champignon atomique » ?

Une image du nuage de l'explosion de Beyrouth. Crédits @ Reuters - Karim Sokhn
Une image du nuage de l’explosion de Beyrouth. Crédits @ Reuters – Karim Sokhn

Le port de Beyrouth a été soufflé par deux incroyables explosions mardi 4 août 2020, à 18 h 07 précises. En regardant les terribles vidéos de ce drame, de nombreuses personnes sur Twitter se sont demandé si l’explosion était le résultat ou non de la détonation d’une bombe nucléaire, le nuage ayant cette forme si typique d’un « champignon atomique ». C’est en réalité le résultat d’une détonation de grande ampleur, comme celle de l’explosion de Halifax, en 1917, ou comme l’éruption du volcan Redoubt en Alaska, en 1990.

Cette double explosion n’était donc bien heureusement pas la détonation d’une bombe nucléaire, mais la résultante d’une réaction chimique bien tristement connue, celle du nitrate d’ammonium, utilisé pour fabriquer des engrais agricoles, des joints, des adhésifs, et même certains types d’explosifs. Une substance extrêmement explosive, responsable de la catastrophe de l’usine AZF à Toulouse, en septembre 2001. 

Ressemblant à du sel, le nitrate d’ammonium se compose d’azote, d’hydrogène et d’oxygène. Interrogée par Le Point, Vanessa de La Grange, ingénieur à l’unité de prévention du risque chimique du CNRS, explique qu’en présence d’une source de chaleur importante, ce corps chimique peut « subir une décomposition en plusieurs étapes » avant de « rapidement exploser » s’il se trouve dans « un espace confiné », ce qui était le cas ici. Notons que le nitrate d’ammonium n’est ni un explosif ni un combustible en soi : il est simplement classé comme « matière solide comburante », c’est-à-dire qu’il fournit de l’oxygène et favorise la combustion d’autres matières.

Cette forme de nuage, le pyrocumulonimbus, n’est pas exclusive aux détonations nucléaires

Selon l’ingénieure, cette forme de champignon atomique est totalement « caractéristique des détonations » : lors d’une explosion, si l’onde de choc se propage plus rapidement qu’à la vitesse du son (supersonique) cela signifie qu’une détonation a eu lieu. Si la vitesse de l’onde de choc est subsonique, c’est-à-dire inférieure à la vitesse du son, c’est qu’il s’agit d’une déflagration. « Ici, il semblerait qu’il y ait eu une détonation, d’après le nuage en forme de champignon, caractéristique des détonations, bien que souvent associé aux explosions nucléaires », a conclu l’ingénieure. Vous remarquerez également qu’aucun flash lumineux n’a eu lieu lors de la détonation, l’une des caractéristiques de la détonation d’une bombe nucléaire.

Dès lors qu’il y a une explosion (qu’elle soit une déflagration ou une détonation) un nuage est créé. Dans le cas d’une forte détonation, ce nuage (en l’occurrence ici, un pyrocumulonimbus) est en réalité la création soudaine d’une poche de gaz, peu dense, mais dont la température est extrêmement élevée (un événement connu sous le nom d’instabilité de Rayleigh–Taylor). Lors de l’explosion, cette masse de gaz chaude va rapidement croître et prendre de l’altitude à grande vitesse, formant un anneau tourbillonnaire (la « tête » du nuage) et une longue colonne de fumée, qui attire l’air froid (la « colonne » du nuage). Une fois arrivée à une altitude où sa densité est égale à celle de l’air ambiant, la masse va s’aplatir, puis retomber.